Le palmier en ZINC

Je comprends vite qu’en fait j’ai rien à foutre, je suis juste là car il faut un européen pour montrer une présence d’un “cadre”GMS en offshore, je suis une sorte de marionnette qui fait croire que..
Je pilote rien et j’y connais rien . Je fais juste un sourire aux cadres Zadco( Égyptiens ou Algériens   et toujours des gros connards prétentieux et hautains) qui passent dans le coin pour mesurer la température garantie par contrat à 21 degrés,et goûter la bouffe qui est d’ailleurs copieuse et excellente . On prend vite du poids et de la mauvaise graisse.Je me vois rapidement blanchir et quelques bourrelets flasques arrivent très vite.Je suis arrivé affuté par 6 mois de haute mer entre Hong Kong et Rhodes et très vite je ne reconnais plus mon corps dans la glace de la salle de Gym que j'essaye de fréquenter mais je déteste ce genre de truc  comme le Home trainer  en confinement ..
Je garde un peu le moral et lis énormément grâce à une bibliothèque en libre service ou à part les SAS et autres Brigades mondaines ( pour les diminués du bulbe qui savent quand même lire à bord) on trouve des trucs pas mal.
Coup de chance je suis un peu sauvé par le gong car pour une histoire que je n’ai jamais vraiment compris je dois aller à terre pour 15 jours..
Je suis gruté dans un gros panier en osier sur un suply qui rentre à la base et 8 h après me voilà de retour sur le plancher des vaches ou  ici  des chameaux.
Cerise sur le Mac Do je suis hébergé chez le rouquin qui m’a filer une piaule en plein cœur d'Abu dhabi avec le congélo plein et un joli bar car l’alcool est en vente libre pour les européens , lui est barré je sais pas où et c’est tant mieux.
Un miracle n’arrive jamais seul j’y retrouve Jean-Charles un jeune mec hyper sympa qui était équipier sur Aquarius au départ des Maldives , ou il m’ avait rejoint,   destination Rhodos.
C’était le petit ami de la fille de Jacques, un beau gosse qui ressemblait un peu à Tom Cruise mais version 1m80 .
Avant il avait monté une boite de matelas ici avec l’aide de Jacques, mais qui avait pas trop marché. Jacques ,je l’ai compris par la suite, voulait un peu le mettre loin de sa fille pour qui il avait d’autres ambitions, quant à elle, elle est désormais barrée aux USA faire des études dans une High School.
Il connaît bien la ville et on va faire la tournée des coins sympas et des grands Ducs.
On est très complices .. c’est un gros malin et a culot pas possible.
Je lui dois un des plus gros trucs de Ouf..
Quand tu vas sur Rhodes depuis les Maldives tu remontes l'océan Indien et avant de passer Babel Mandel , le détroit qui sépare l’indien de la Mer Rouge, tu stoppes à Djibouti avant d’attaquer la remontée vers Suez.
Pour moi c’est mythique pour deux raisons
La première c’est que je suis nourri des aventures de Henri de Monfreid qui était mon idole. C’est dans ce détroit en pleine tempête sur un vieux boutre le Fath-el-Rahman, qu’il jure que si il s’en sort il se fait Musulman et devient Abd-el-Haï, «l’esclave du vivant».
Moi je suis passé par calme plat et ne me suis pas fait Musulman et c’est pas demain la veille..
La deuxième raison est lié à mon père. Quand j'étais môme il m’avait parlé de Djibouti en me disant qu’il faisait tellement chaud que les palmiers était en zinc, cela m’avait vraiment interloqué..
En fait c’est lié à un bar très fréquenté où se retrouvait toute la communauté française de l'époque avant l'indépendance, le fameux “Palmier en Zinc” dont Monfreid parle dans les Secrets de la mer rouge.
Uns carte envoyée....


Evidemment quand je suis arrivé là bas le premier bistrot à atteindre était celui la . Manque de bol il avait sauté sous une bombe lors des événements en 1977.. ce qui est très récent!
La présence française en particulier Militaire est encore très forte. Le port regorge de navire de guerre dont le Jules Verne le bateau atelier des forces navales Françaises en océan Indien. Le café qui le remplace me dit on à mon arrivée est “ “l’Historil .”. je me projette donc d’y aller faire un tour à l'occasion .
J’ai plein de trucs à faire sur le bateau car depuis HongKong le canot a un peu souffert,  j’ai du fric à sortir dans une banque car on est à sec de liquide et à Suez t’a intérêt à avoir du cash si tu veux passer vite en balançant des billets à tous les administratifs divers  et avariés.
D’autre part Jacques, je ne sais comment a réussi à faire convoquer le joyeux Jean Charles au poste militaire car il doit faire ses 3 jours et partir au service militaire. A l’époque c’est obligatoire et sinon tu es déserteur. Jacques à le bras long, des connections partout dans le monde et un paquet de pognon ….et il a pas envie que le joyeux lascar s’envole pour les states rejoindre sa dulcinée !
Du coup nous voilà au bout de 3 jours à faire le poireau au Centre Militaire Français de  Djibouti, moi en qualité de Capitaine et responsable de mon marin !! ça me fait chier mais bon! le télex était sans appel et j’obéis!
Pour préciser le contexte on a déjà pas mal visiter Djibouti et surtout les bars où on croise plein de légionnaires et de jolies filles peu farouches si tu vois ce que je veux dire.
En plus j’ai retrouvé un pote que j’avais connu à Salvador de Bahia 2 ans avant et qui avait continué son tour du monde sur un ptit rafiot de 7m50 que le proprio lui avait filé car lui en avait marre. Il avait plus trop de tune et naviguait de conserve avec une très jeune amerloque qui bouclait aussi son tour du monde à la voile et en solo ( la plus jeune ayant réalisé un tour du monde à l’époque) ..On faisait la teuf chaque soir avec d’autres circumnavigateurs, d'abord sur l’Aquarius qui était encore plein de tout ce qu tu peux imaginer .. Bordeaux Millésimés, Champagne ect ...et je devais vider tout avant de repartir avec des produits neufs à Rhodes pour la saison de Charter ….L’argent ne comptait pas pour Jacques , il était grave blindé  et avait trouvé le Champ trop secoué pas à son goût lors d’une escale à Phuket oui il était venu passer les vacances de Noël et comme dans la pub “Pas assez cher mon fils ! “ .
Un soir on se retrouve dans un bar un peu louche, on rigole, on picole un peu avec des légionnaires et on décide de revenir au port en galante compagnie..
Manque de bol (ou par bol) les filles veulent pas embarquer dans le Zodiac et se cassent... bon pas grave.
Le lendemain 8h nous voilà à la base militaire où on nous attendait de pied ferme !!
La j’ai commencé à flipper de ce truc .
Jean Charles rentre dans le bureau d’un gradé machin chose et je poirotte une bonne demi heure .
Un mec sort du bureau .. c’est le sosie du beauf de Cabu! mais en uniforme avec barrettes ,moi je suis réformé P5 et les militaires c’est pas mon kiff à l’époque et la vue d’un uniforme me file la nausée .
Inquiet je lui demande ce qu’il se passe… Il me répond très sèchement : “Votre marin on a la main enfin dessus et on va pas le lâcher “ , puis retourne dans le bureau en claquant la porte!.
3 minutes après il revient et me somme de la suivre..
Je rentre dans le bureau . JC est assis la tête basse entouré de 4 gradés à l’air revêche.
Je demande ce qu’il se passe. L’un me dit “vous avez fait les cons hier soir avec les filles”.
Je dis “bah rien de mal ! ???? “
Réponse “ ouais peut être sauf qu’elles ont porté plainte pour tentative de viol .. Ici c’est plus la France le climat est très tendu. Votre bateau va être saisi par les autorités Djiboutiennes . On va voir ce que l’on peut faire pour vous éviter la tôle … mais va falloir surement payer des gros pots de vin”.
Justement on a plus une tune et je me vois très mal annoncer la nouvelle à Jacques .. Putain je suis dans une merde noire comme jamais .. je vis un cauchemar je suis foutu !
Une chape de plomb est sur ma tête , le silence de la pièce est terrifiant, les regards durs. JC est effondré sur lui même, je ne le reconnais plus, lui si pétillant de malice ,et de bonne humeur et d’optimisme.
Les secondes sont des heures.. enfin j'arrive à sortir quelques mots . “.mais on peut rien faire c’est pas possible aidez nous .. quand même .
Aucune réponse encourageante des militaires que je maudis et jamais j’ai détesté dès uniformes à ce point . Je suis effondré.
Puis je sens quelque chose...je vois JC qui se dénoue et un des militaires me demande.en me tutoyant. “. Bah …… T’as tu Pastis à bord ????” JC lève la tête et me regarde !

Là je comprends …..
“OK ...alors bienvenue à Djibouti et ce soir t’a intérêt à payer l'apéro car nous la voile ça nous donne soif et on est pas des ptit joueurs!!!

J’ai les larmes aux yeux et je crie “Vive l’armée Française”
Du coup Jean Charles passe chez le médecin Militaire le lendemain matin…
Il me raconte
“ ça a pris 5 mn.. Le médecin me demande alors ça va ? tu veux faire ton service? Bah c’est pas que je veux pas mais j’ai de projets bla bla blabla.... "
Ah ok .. bah je te réforme alors c’est pas compliqué et bonne chance pour tes projets !
 On a la grosse cote au Yacht club et plein de gens viennent à bord admirer le canot. En plus on se la joue select ...JC tout en blanc vêtu et VHF à la main va chercher les invités avec le gros Zodiac “ tender of Aquarius !!” On doit même participer à un pique nique nautique organisé par le président du Yacht Club … Les VIP seront à mon Bord.
Le lendemain un énorme Dinghy arrive avec 3 marins. Gros drapeau français , Marine nationale Française et salut Militaire.. On vient nous chercher avec tout je que j’ai à réparer, direction le Jules Verne où un super accueille nous attend .. je rêve....
Le sur lendemain j’ai des invités à bord et on devise tranquillement parlant de l'organisation du Pique Nic avec la femme du Président ..je fait péter une bonne roteuse.. la vie est belle.
Nous sommes le 18 mars 1987 vers 17 heures….Soudain un énorme bruit puis une fumée noire s'échappe dans le ciel de Djibouti


18 Mars  1987
L'explosion d'une bombe dans le café L'Historil, lieu de rendez-vous des militaires français de la base de Djibouti, fait onze morts dont cinq Français et trois Allemands ainsi qu'une cinquantaine de blessés, dont la moitié environ de Français. Bien que cette action terroriste ne soit pas revendiquée, l'arrestation d'un Tunisien affirmant avoir été recruté à Damas laisse penser que la France plus que le régime djiboutien en place aurait pu être visée par cet attentat.


Je n’aurai donc jamais   connu le Palmier en Zinc   et destin oblige, l’Historil non plus .
J’anticipe  vite le départ et boucle mes derniers trucs en cours. On lève l’ancre 2 j après et au revoir  Djibouti, j’aurais aimé partir dans d’autre circonstances.
Passage à la douane  avant le départ


Je passe  vite Bab el Mandeb au moteur et sans  les honneurs du vent , la larme à l'œil et le coeur serré. La mer et le ciel  sont d’un gris uniforme comme en signe de deuil . Mais l'aventure continue et la Mer rouge nous attend !