C'est pas l'homme qui prend la mer.

Je sors du port de Cavalaire avec émotion mais très excité et surement mes adieux ont dû être brefs, je ne sais plus .. ça y est c’est parti pour l’aventure.
Je profite de la brise thermique du soir pour passer les Iles d’or ,laissant Bago à bâbord et le Cap de Mèdes sur tribord Peu à peu la nuit tombe. Le Phare du Titan devient notre seul repère et sont grand éclat s’estompe pour disparaître.
Le thermique tombe et c’est le calme plat au large de Porquerolles. Sur Lisa je ne mets jamais le moteur sauf en cas de manœuvre délicate de port .
La mer est plate comme un miroir me laissant comme en apesanteur entre la mer et la nuit. Soudain un souffle puissant se fait entendre, je suis aux aguets, puis le souffle d’une baleine jaillit à quelques centaines de mètres. Wouah.; c’est un mélange d’angoisse et d'émerveillement..Le lisa fait pas 10 m et ne serait qu’un fétu si la bestiole voulait passer son sa coque et jouer un peu mais elle s'éloigne . Bon là c’est clair on déjà en haute mer Heureusement la brise se lève et cap vers les Baléares. La nuit suivante  je vois un cargo. Rouge sur rouge rien ne bouge , vert sur vert tout est clair ...sauf que pour moi tout va trop vite et j’ai mal géré et rien n’est clair , le cargo passe vraiment très près et je vois l’écume  sur son étrave et je suis obligé de balancer la barre de peur de me faire éperonné c'est pas passé loin, j’ai merdé.
Le croisement  des cargos de nuit est en fait un art délicat et il faut prendre l'habitude et rester zen.. j’ai souvent repensé à ce moment de panique et de débutant quand quelques années plus tard je remontais la Mer rouge où des centaines d'énormes cargos remontent dans le golfe de Suez , c’est dingue de slalomer avec ces montres mais avec l'expérience . tu gères tranquille. .
On est vite aux Baléares où on traîne surtout à Ibiza ou c'était déjà une ambiance de fête assez dingue.Les escales s'enchaînent .
Un stop à Ceuta pour acheter des cartons de whisky, non pour moi car je n’en bois pas trop mais comme monnaie d'échange pour le Sénégal et le Brésil.
Naturellement escale à Essaouira ou je prends le risque de rester dans son petit port calé entre les bateaux de pêche peu à l’abri de la grosse houle avec ma petite coque de plastoc.....Jacques avait emmené un pistolet 7.65 de son grand père en cas de pirate .On l’avait planqué dans un sac de riz …..fallait vraiment être cons car si la douane l’avait trouvé .. c'était finitos.
Après c’est pas le même type de navigation car il faut atteindre les Canaries et pas les louper.. je me suis bien entraîné au sextant mais tout de même…et multiplie les droites de hauteur. Et j'aimerais pas comme certains acheter une carte postale pour savoir ou j'ai atterri.. (j’ai des noms j’ai des noms)

Une droite de hauteur est une droite sur une carte en projection mercator déterminée par l’angle du soleil mesuré avec le sextant par rapport à l'horizon… c’est cette prise de mesure qui fait un bon navigateur, c’est tout un art surtout quand ça bouge, et que tu prends des embruns dans la tronche et veut préserver ce précieux instrument d’optique..
Le truc malin de l’affaire c'est que tu fais tous les calculs en fonction d’une position ou tu penses être …..c’est pas une supputation c’est juste de la géométrie ..cela m’avait surpris un peu avec mon esprit rigoureux de physicien un peu borné L’atterrissage sur Arecife est nickel, ensuite j’ai toujours fait mes atterrissages à moins de 5 miles près..
Ensuite on avait mouillé plus au sud dans une crique  où un vieil allumé avait échoué après avoir coulé sur son rafiot .Il vivait dans une cabane à côté de laquelle son canot de sauvetage était encore tout dégonflé,un jeune éphèbe canarien vivait avec lui et c'était son lit !

Le mec prétendait être en contact avec les extraterrestres,un vrai gourou on aurait dit le Dr Raoult avec des grands cheveux blancs . Un soir il nous a invité à boire et manger et nous promettait de rentrer en communication avec le missionnaire des extraterrestres et montrait le ciel du doigt en disant “ j’ai une connexion directe”.. ......On était quand même intrigué bien que ce genre de truc c’est n’importe quoi, mais par curiosité on y va. On mange un truc genres des graiens de merde , on commençait à trouver le temps long et cela devenait chiant . Du coup il se décide et dit je vais mettre le récepteur en route ...En fait de récepteur c'était un vieux mini Cassette Philips avec une bande ou était enregistré un discours débile ...On écoute 5 mn les conneries et il me prend la main doucement ...Lui ,c’est pas les extra terrestres qu’il a failli rencontré mais mon poing dans sa gueule et lui il est bien réel si tu veux rentrer en communication avec lui et le message est très clair..
On a levé l’ancre le lendemain pour Santa Cruz de Ténérife..
On est en Octobre et les alizés de Nord Est ne sont pas encore établis et faut attendre un peu plus tard pour descendre au Sud vers l'Afrique ou traverser direct en profitant des bons vents portants..
Donc tous les bateaux convergent vers les Canaries et les deux gros lieux de rassemblement sont Las palmas et surtout Santa Cruz car le port s’y prête bien ..
Santa Cruz c’est blindé de voilier de toute sorte.. cela va du beau voilier de Charter de 20 m avec les hôtesses et marins en ptit short blanc en passant par tout et n'importe quoi.
C’est un vrai village de manouche flottant imbriqué en rang l'un le long des autres.
Je me suis mis le long d'une petite corvette de 6 mètres 50 occupée par un couple de hollandais baba cool. Le bateau était super bien décoré genre Flower Power Peace and love..

Je connaissais très bien la Corvette car j’ai fais mes premières nav avec des vieux amis  de mes parents, traverser l’atlantique faut quand même oser …
Y a une faune de navigateurs très divers , les mangeurs de miles, le pros mais aussi ceux qui chient dans leur froc avant ‘le grand saut” et restent scotchés définitivement en se donnant des prétextes de ne pas partir ..même si leur bateau est prêt à affronter le Horn avec la bulle de timonerie interne et tout l'équipement pour les 40ème rugissants

L’ambiance est sympa.et on traînait sur les marchés en récupérant des fruits gratos des tonnes de banane et puis faire des gâteau avec du Gofio ,la farine de maïs grillé qui coûte pas un rond , c’est la spécialité de l'île…

Moi par une copine Aton  que je reverrai à Rhodes sur BanaMoon


C’est souvent aussi à Santa cruz que les équipages se font et défont, mes relations avec Jacques se sont détériorées très vite la bas , nos objectifs étaient très différents et il acceptait déjà mal que ce soit moi qui décide des nav, il se la jouait tranquille moi c’est le large qui m'intéresse , bouffer des miles...Du coup il a pris son sac, où plutôt moi qui lui ai mis son sac , il commençait à me les briser. J’ai embarqué deux mecs, un routard et l’autre qui était sur un autre bateau avec lequel on s'est suivi jusqu'au Brésil . C'était Aqualung un bateau de course de 9 m en bois moulé. Les mecs étaient des têtes brûlées venant de la course. Le proprio était un jeune surdoué car il avait dessiné puis construit la coque et couper ses voiles lui même car c'était un Maître voilier.

Le port de Santa Cruz est un long rectangle dont l’entré est assez étroite, un matin est arrivé un vieux cotre en bois au gréement aurique , un truc de 11 mètres environ ..un bateau très beau , une construction pour la pêche autour 1920.. Il y avait pas un pète de vent et j’étais assis tranquille et admirait le canot . Un seul mec à bord torse nu pieds nus , vêtu juste d’un pagne , la tête rasée. Il rentrait à la godille qui elle était immense, faut le faire vu la taille et le poids du truc. Il avait une majesté dans la stature et ses muscles brillaient dans la lumière . Je l’ai suivi le temps qu’il parvienne sur la digue du fond ou j'étais. Il se surnommait James La Mort du nom de son bateau “La Mort” . Il avait rayé son passeport et marqué APATRIDE ..il se disait citoyen de l'océan et avait vendu son moteur pour bouffer James la Mort avait des idées assez philosophiques en dehors d'être un super déconneur . Il avait créé un mouvement,  l’Association à Dos Dias dont je n’ai pas trop exactement compris les objectifs sauf qu’il fallait rejoindre Madagascar. au travers une course à perdre haleine en laissant autour de monde des signes artistiques admirables.! La nourriture rituelle était le Pain Perdu ..

Il venait de Brest lui aussi et était pote avec Jean Yvon .Il a perdu son bateau au Sénégal car son statut n’avait pas séduit les flics Sénégalais avec qui il s'était battu . J’aimais bien ce mec atypique un vrai dingue mais un aventurier dans l'âme , un ancien routier qui faisait la route entre la Turquie et le moyen Orient .Un rêveur, un mec pour qui l’impossible devient possible ,je ne l’ai jamais revu, c’est dommage..
Y avait aussi un bateau avec des musicos de Renaud  qui, lui aussi naviguait à cette époque, ou faisait semblant . C’est pas l'homme qui prend la mer mais la mer qui prend l’homme…!!
Moi c’est clair , la mer m’avait pas pris mais possédé et j’avais hâte de prendre la route du large et plus zoner à Santa-Cruz à boire des San Miguel au bistrot du port , bouffer cette merde de Gofio ainsi que du pain perdu. Direction Dakar , les alizés sont là!!
Faux départ car je suis pas un grand spécialiste de la météo, et à tel point que je l'écoute rarement.
Un petit vent nous déalle tranquillement mais rapidement le ciel devient gris et le vent refuse en forçant.
J’aurai regardé une carte météo c'était évident.  Les alizés me le font à l’envers et une dépression s'était creusée à l’ouest.J'insiste un peu mais bon je fais demi tour car j’ai pas envie de descendre vers Dakar au louvoyage dans du force 7…
je me détourne vers l'île de Hierro , un peu tard l’ami ! … rapidement c’est la guerre .. des éclairs commencent à apparaître et tomber de plus en plus près du Lisa . La nuit il pleut des trombes .j’ai l’impression que des bombardiers nous balancent le feu de l’enfer.Je met une grosse chaîne en remorque pour parer un coup de foudre sur le mat . Le spectacle est apocalyptique. Le lisa fonce au grand largue dans un champ de mine. Après quelques heures d’angoisse dans ce cauchemar le petit feu de Hiero apparaît au loin..Ouf La nuit a été longue.? au matin c’est plus calme et on entre à l’abri dans le petit port de Restinga . Je crois n’avoir jamais eu la peur aux tripes à ce point en fait c’est la seule peur en mer que j’ai eu , la vraie peur et si j'avais cru en dieu j’aurais fait une prière c’est dire. Monfreid lui aurait fait Musulman c’est sûr ….

L'île était encore très sauvage et le port désert .. à part un seul autre bateau.. c'était un Gin Fizz de Jeanneau . A bord une femme seule ...son mari était mort 3 jours avant d’une crise cardiaque en pêchant en apnée les mérous. Elle attend des convoyeurs pour remonter le bateau en France… bonjour les vacances. C'était un belle blonde j’ai peut être loupé une occasion .. on sait jamais .. sur un malendu !