El DARWIN

Je crois que c’est quand t’es môme que tu te construis tes rêves et principalement en voyant des images , même si tu sais pas encore trop lire.
Pour ma part je suis ce que on appelle pompeusement un “Hergéen”  soit  un mec profondément marqué par les aventures de Tintin et Milou .. Hergé quoi !..
(lire TinTin chez le Psycanalyste)
Quand j’ai vu pour la première fois des trucs écrits en Arabe je pensais obligatoirement que c'était des injures à cause des Nomades dans le crabe au pince d’or .
Et moi qui traînait plus tard souvent dans les ports j'adorais regarder les cargos au mouillage et imaginais toujours Tintin grimper sur la chaîne de l’ancre pour monter à bord du Karaboudjan !
Une de mes premières lectures fut Cocke en stock .. C’est la mère Despré qui me l’avait acheté à sa sortie en 1956 ! On y voyait des poissons volants au travers les jumelles du Capitaine Haddock qui après savatait grave la commande de timonerie du cargo ça m’a marqué à jamais.  Si un jour je gagne au loto j’en achèterais un de ces trucs, on en voit souvent chez les antiquaires de marinemais ça vaut un bras.
Si non, mon père ramenait toujours un tas de bouquins à la maison et les lisait pas mais il avait fait une bibli en bois dans laquelle il les rangeait
Il avait aussi commandé la collec complète de Honoré de Balzac chez Jean de Bonnot reliée en cuir Bleu .. il en recevait un ou deux par mois et les rangeait très satisfait .. je crois qu’il n’en a jamais lu un seul .. lol.
Parmi tous les bouquins il ya avait L'Expédition du Kon-Tiki et  celui la je l’ai feuilleté des centaines de fois en rêvant sur les photos  surtout ceelle du requin baleine qu’il avait pécho le Thor Heyerdahl!
Y avait aussi la téloche avec une seul chaîne en N&B je regardais “la vie des animaux”de Claude Darget, il avait une voix extra ce mec et un jour j’ai flippé en voyant les gros dragons sur son émission sur les îles Galapagos !
Ensuite j’ai toujours rêvé d’y aller comme une sorte de graal un peu comme d'autres d’aller sur la lune ou je sais pas où.
 20 ans plus tard je me trouve sur la petite Île de San Andrés au large du Nicaragua d'où je venais et des côtes de Colombie ou j’allais.
J’avais pas traîné au Nicaragua car c'étaient les émeutes contre Somosa et les bus de la Compagnie Tica était souvent criblé de balles !
Je trainais sac à dos, guide du routard dans la poche et chemise à carreau, me manquait que la guitare dans le dos mais je sais pas en jouer !
Je rencontre un écossais qui lui venait du sud et en particulier l’Equateur.
Le mec me raconte qu’il a eu un plan pour aller aux Galapagos sur un bateau qui faisait du fret entre Guayaquil et les îles.
Binguo je n'avais plus en tête que ce truc.
Le plan était simple .. Allez voir le Capitaine du Darwin au quai numéro 5 et pour quelques centaines de dollars il t'emmenait à bord faire sa tournée !! Le rêve.
Du coup on part avec un pote ,Olivier , pour la Colombie .
On descend en stop toute la Colombie et nous voilà en Equateur ..
Du nord vers Guayaquil faut traverser une partie de la cordillère, un des stops à faire c’est le marché d’Otavalo .. on y avait acheté des bonnets en laine genre Inca pour touriste .
Un couple équatoriens avec leur môme allait vers Guayaquil et ils ont accepté de nous proposer un lift.
Ils avaient un Pick Up, un Datsun,super ! on s’est mis derrière dans le plateau. Au début c'était super mais après y a des cols à plus 4500 mètres ,on a mis les bonnets et on s’est serré l'un contre l’autre car ça caillait grave et quand tu regardes les précipices t'as peur surtout avec la conduite des chauffeurs des bus que tu croises ,des malades les mecs.
Après la descente on est arrivé . Là c’est l'équateur et là il fait très lourd .
On était crevé mais on a vite filé vers le port pour trouver le quai numéro 5 et le fameux Darwin!
Mais le port de Quaya est à perpète du centre.. galère .. c’est genre le Havre en 3 fois plus grand .. et de toutes tu peux pas y rentrer sans permis ..On avait la rage et le moral dans les pataugas. Donc demi tour vers le centre Ville ou on a trainé sous la putain de chaleur Tout ça pour ça !. L’enculé d’Ecossais c'était un gros mytho et il s'était foutu de notre gueule..
Fallait trouver une piole pour dormir car il commençait à se faire tard. On a longé le bord de l’estuaire espérant trouver un hôtel minable à pas cher..
Je regardais le sol de béton et je vois écrit un truc avec des grosse lettres noires faites au pochoir .. “Muelle 1” .. ça veut dire Quai 1 en espinguoin !!
Bordel y avait une structure portuaire sur l’estuaire, un truc pour les ptits bateaux de commerce ..et donc on court comme des dératés. Muelle 2 , Muelle 3 , Muelle 4
Et Cinquo ….Mierda le quai est vide. “Donde esta el DARWIN ??? “.. un docker nous dit qu’il est barré ce matin vers les Galapagos !!!
Le rêve nous échappe encore ..car il sait pas quand le bateau sera de retour mais sûrement pas de départ avant au moins un mois et encore …
Guayaquil je peux te dire que c’est pas Saint Tropez et je me voyais pas y faire du tourisme. Bonjour tristesse aurait écrit Françoise …
Et puis comme par miracle on a eu une apparition .J’aurais vu la Sainte Vierge en ptite culotte de chez Chantal Thomas j’aurai pas été si éberlué.

Plus loin, le long d’un mole.. Il était là , comme sorti du film “ l’African Queen” avec sa cheminée et sa vieille coque noire …. magnifico “El DARWIN” écrit en grandes lettres blanches sur sa poupe .
Avec sa quarantaine de mètres c'était un beau caboteur dans la grande tradition comme je les aime.
Tout va vite.. le Capitaine est à bord . No problemo quelques billets et hop on est déjà installé dans une petite cabine sympa avec deux couchettes superposées.
Le départ est prévu dans 3 jours car il attend la fin du chargement du fret .
Il y a déjà des tas de truc a bord , des sac de riz, des gazinières et plein de machin ..
On jubile ..
Si t’aimes pas les mosquitos bah va pas la bas .. car comme le dit Timzit dans son sketche ils te piquent pas ils t'empalent en plus c'est des versions XXl .
 L’avantage c’est que l'attaque commence à la tombée du soleil c’est réglé ...donc tout le monde aux abris à 18 h en bordure du canal . On avait rencontré un couple de francais qui étais sur un voilier au mouillage dans l’estuaire .. les jambes de la meuf c'était impressionnant...elle avait fait la connerie de mettre un short..et c’est plus des jambes qu'elle avait mais des trucs informes plein de plaies dégueulasses qui s’infectaient !
Y avait un cinoche pas loin et on a avait été voir deux films.. Simbad le marin et Emmanuelle..Je m’en souviens car un des acteurs, un beau goss blond et tout , je l’ai rencontré quelque mois plus tard à Fort de france où il trainait sur son bateau et vivait de quelques rapines (sans jeux de mots) et de trafics divers..
 En rentrant du cinoche c’est marée basse, près du Darwin je vois sur la vase les bancs d’algue .. c’est bizarre ya pas d’eau ni de vent mais les algues bougent ...bah non c’est pas des algues mais des rats, y en a des centaines.. je te le confirme Guaya c’est pas St Trop….sur la plage ensoleillée coquillage et crustacé ..là c’est pas la même affaire
On attend cool le départ en se bronzant sur le roof du Darwin ou il ya ce que l’on appelle un “ Engin Flottant” ..un matériel de sécu que je trouve confortable pour la bronzette.. pour le reste on en rigole avec Olivier .
Voilà, on y est c’est le départ et enfin .. nous voilà barrés vers le large en longeant l'estuaire puis le delta sur plusieurs miles. Je sais pas si le capitaine avait picolé ou quoi mais on se fait un haut fond et on attend que la marée monte pour se dégager ...On reprend la route, la nuit tombe.. je vais me coucher dans la petite cabine ..
Dans la nuit je dors à poing fermé. Olivier me réveille en me secouant comme un dingue en panique ….”lève toi ! lève toi sauve ta peau” . . il sort vite fait .. j’ai du mal à réaliser mais on est en train de couler..j’y crois pas .. le Darwin prend de la gîte ...je prends mon sac à dos ..et cherche un gilet de sauvetage …rien ! je fais deux autres cabines j'insiste car je sais que c’est capital.. je peux te dire que là les secondes sont des heures enfin je trouve une brassière dont les flotteurs sont en balsa (la bas tout ces trucs sont en balsa car l'équateur est un gros producteur ). Le Darwin prend un gros coup de gîte de 45 degrés .. c’est la panique , ça crie de partout , j’arrive à atteindre le pont . On coule à pic. Je monte sur la rambarde la plus haute et balance mon sac… j’ai plus le choix et je vais plonger. Je suis en slip de bain et torse nu, j’ai juste mon passeport et les derniers travelers American Express qu’il me restent dans une petite sacoche que j’ai 24/24 autour du cou
Étonnamment je reste calme.. et je me dis avec humour ”.j’espère qu'elle est bonne !” c’est dingu.Je plonge en ayant peur d'être aspiré ( j’ai du voir cela dans un film mais c’est bidon.. ..je viens justement de tester ) et crawle comme un dingue.
Soudain le tumulte se fait silence . Le Darwin disparaît,.je nage mais je sais pas vers où ni pourquoi..
J'entend les cris d’Olivier .. “Didier Didier “ il m’a repéré grâce à mes petites lunettes rondes d’intello qui brillent dans la lueur de la pleine lune ..
Je nage vers lui , il est agrippé à l’engin flottant sur lequel on se bronzait à Guaya .Il est pas dessus car les deux Équatoriens dessus refusent que l’on monte !
C’est le Pacifique et j’espère que les requins sont pas trop affamés dans le coin !
Curieusement je n’ai aucune peur .. Je pense juste à ma Mère et qu’elle va juste apprendre peut être ma disparition sans savoir ou je suis disparu et que cela va être très très dur pour elle . Moi j’ai pas peur de la mort ,je n’y pense même pas, je ne raisonne pas , ne pense pas de toute . Je m'accroche point , faut trouver un truc pour sortir de cette situation, je suis capable de nager des heures je le sais .J'attends combien de temps je ne sais plus.
Au loin les lumières d’un gros bateau apparaissent dans la nuit, un espoir ? puis rapidement des bruits de moteur qui se rapprochent de je ne sais d’où.
Un des équatoriens sur l’engin flottant est sec.. il sort une pochette d’allumette de la poche de sa chemise à carreau en Nylon qu’il déchire en lambeau pour en faire des flammèches. Détail bête c’est la même chemise que celle de mon père qu’il utilisait pour les coups de soleil quand j'étais petit sur la plage de St Aygulf ! Dans ces moments le cerveau répond à des stimuli très curieux.
Le bruit de moteur se fait très fort .. Une chaloupe surgit de la nuit et vient vers nous.On s’agrippe à la grosse corde qui longe son bord . Les deux équatoriens grimpent vite à bord . Et c’est là que j’ai eu peur .. la manœuvre est un peu longue j’ai du mal à grimper par la petite échelle et mes jambes battent la flotte ….je pense aux gentilles bestioles qui peuvent être attirées par les bruits...je suis limite en panique pour ces dernières secondes.Enfin un mec me hisse ..c’est bon je suis sauvé et Olivier pareil. Ouf, on est pas passé loin de la cata ..mais le destin en avait décidé autrement . …
La chaloupe prend la direction du cargo qui avaient reçu l’appel de détresse que le capitaine avait réussi à envoyer !! les Galapagos c‘est rappé .
Comme le chante Hervé Vilard “C’est fini je ne crois pas que j’y retournerais un jour “
En quelques minutes la chaloupe est le long de la longue coque du Cargo qui rentre à Guayaquil.On grimpe à bord par une sorte d’escalier et on est accueilli à bord.On est une trentaine de rescapé et on est réuni dans une grande salle ...L’ambiance est sympa , on picole comme si de rien n'était comme à un pot d’anniversaire.
Le jour se lève .. j’ai pas dormi et me voilà débarqué et ramené à la case départ ….et sans avoir reçu 20000 francs.
Une petite foule est réunie avec des autorités .. on se renseigne , le Patron de la compagnie du Darwin est barré sans laisser de trace.Grosso merdo on est dans la merde car pris en charge par personne dans cette ville où l’on a aucun contact.On avait pas internet ou un mobile à l'époque, donc faut se démerder à l’arrache
Je suis pieds nus et en slip de bain , torse poil. Mon passeport a grave pris l’eau et l’encre des visas a coulé (je l’ai encore comme souvenir !). J’arrive à trouver l’adresse du consulat de France...c’est pas trop loin . On se concerte avec Olivier.. Il parle un peu l’espagnol et lui restera aux nouvelles. Un mec me file un tshirt et go je fonce en courant vers le consulat qui, coup de bol ,est pas trop loin.
En fait de Consulat c’est juste l’adresse d’un appart .. il n’y avait ni Ambassade ni Consulat à Guayaquil. C’est juste un consulat honoraire..Je trouve une plaque en cuivre : François Durin Consul honoraire de france !
Je sonne, la porte s’ouvre et je tombe sur un grand mec au “beaux’”cheveux blancs de 70 balais environ...Il me dévisage ...je lui explique le truc..
Il me file une paire de vieille Tennis blanches, un froc bleu trop large et une chemise en nylon à rayures bleues et blanches.elle aussi trop large. “cela ne veut rien dire pour vous mais pour moi cela compte beaucoup” ces détails l.
On prend sa caisse et on va chercher Olivier .. qui lui n’a rien de neuf.
François Durin connaît la musique de ce pays.., du coup on traine pas et on va chez lui où l’on restera quelques jours.
Il nous raconte sa vie .. Il est arrivé en Equateur à 20 ans sans un sous mais a vite monté une plantation de Café et autres trucs.Marrant il a des photos et on le voit tout maigre quand il a avait 25 ans...Désormais il coule des jours tranquilles et par relation est devenu Consul Honoraire…
On reste chez lui 3 ou 4 jours et il nous balade, ou va voir quelques plantations.. mais aucune aide autre que lui..
La compagnie a été contactée bla balabala ..La seule chose que l’on réussi à avoir c’est une piaule avec pension complète.. payer par la compagnie.en attendant quoi je sais pas .

Quelques jours après  l'épave d'El Darwin est remonté des hauts fonds après avoir  dérivé  j'ai gardé  cette relique !

La pension de famille c’est pas le Sheraton !
Je dirai même que c’est un taudis tenu par une Grosse black  
tyrannique!"   desolé pour le terme .
Y a pas l’eau courante… juste un énorme fût en métal dans lequel on vient prendre de l'eau avec un seau …
On traîne à Guaya mais le temps commence être long à moisir chez la grosse.
Un soir on traîne et on rencontre une belle fille une très jolie black avec qui on se lie ‘“’amitié” et on va au cinoche..
Elle nous invite chez elle. Chez elle c’est dans le bidonville à quelque Km du centre ! On chope un taxi et on boit un dernier verre et on dort avec elle..Fallait être dingue de trainer dans le bidonville..
Elle vit seule avec son fils dans une sorte de cabane pourrie …On se casse tôt le matin un peu stressés de là où l’on a (encore) échoués .. mais les gens sont cools en fait .
Il a plut toute la nuit et c’est un champ de boue partout car les allées sont pas goudronnées.
J’ai toujours aux pieds mes tennis blanches.. et je suis couvert de boue jusqu'aux genoux.
J’ai la rage de mon état boueux et cette pension de merde .. et je me fout entier dans le fût de flotte. La patronne arrive en furie et me menace d’un gros couteau cuisine en beuglant en espagnol ..Je parle pas l'espagnol mais j’ai vite compris que c’était pas des mots d’Amour .
La je commence à en avoir raz le bol de Guyaya Je suis en contact avec mes parents et j'arrive avec Olivier à choper des billets de zinc pour le plus proche territoire Français .. la Martinique.
Il y a  un vol direct Quito Fort de France en 747.
Faut remonter en bus.. et on se refait le trajet en sens inverse dans la Cordillère.. La c’est l’horreur car le chauffeur du bus et un vrai dingue.. j’ai cru encore mes dernier jours arrivés avec les précipices et le nombre de carcasses que l’on voit le long la route .
je n’ai qu’une hâte : me casser fissa de ce pays de merde!
On arrive à Quito totalement nazes et sur les nerfs et on s’embrouille avec Olivier pour une histoire de tune à la con..Du coup on se sépare et moi je vais faire une sieste dans un parc en attendant le vol du soir même.


Je me réveille .. putain on m’a piqué mes lunettes.. et je suis assez myope.. Faut vite que je rejoigne l'aéroport. Et la misère, y a une manif d'étudiant ou je sais pas trop quoi et les flics balancent des lacrymos.. Je vois plus que dalle pendant plusieurs minutes .. mais arrive à me barrer..; mais là c’est trop de chez trop...
Je retrouve Olivier .. bon l'orage est passé et nous voilà dans le Boeing d’air France..
Je suis toujours avec mes tennis blanches,mon froc bleu et la chemise trop grande, c’est mes seuls bagages. Les bonnet incas doivent encore être dans le coin des Galapagos….
On s'effondre dans nos sièges ouf .. on décolle.Après quelques minutes une belle hôtesse nous invite à la joindre en Première . Un repas first class nous attend avec bordeaux et tout et tout.L'équipage est au courant de nos petits déboires  car le couple avec la meuf aux cuisses bouffées par les mosquitos avait filé l’info , ils sont justement à bord . C’est royal non !
Détail con . Je lis “Jour de France” qui annonce la mort de Claude François.. Bien sûr je ricane car je le déteste presque autant que Patrick Juvet. Il s’est sûrement électrocuté avec un godemichet dans le fion   , comme beaucoup à l'époque on pense , que c’est une grosse "tarlouze" 

 NB on est 1978 ce genre de propos est monnaie courante..en 2020 tu vas  en taule)  .
Bon à  cette époque Sheila était un homme  c'est même évoqué  dans  cours les fac de  médecine  !!
Alexandrie Alexandra .. il est toujours à la mode lui, mais tu me mets sa zic je pense instinctivement à ce moment  alors que les beaufs eux se déhanchent dans les soirées disco.!