Un dîner presque parfait

J’ai tout de même hâte d'arriver.C’est un peu le régime sec à bord car on finit par carburer avec l’eau des Jerrycans, que les bananes et autres fruits sont depuis longtemps avalés et la dernière boîte de corned-beef que l’on cuisine aux oignons et au concentré de tomate est digéré depuis belle lurette..
D’autre part ..Ziguinchor question supermarché c’est pas l’abondance et de toute le budget bouffe est réduit au max à mon bord..
Il me semble que le dernier bocal de confit porc amoureusement cuisiné par ma mère a rendu l'âme à Dakar.
J’ai depuis une affection particulière pour les belles boîtes de Corned-beef à la forme de losange souvent bien décorées d’une belle image de buffle bien cornu et “Amercain Staiiill”.On en trouve de moins en moins dans nos supérettes., ce qui n’est pas un drame car ça a quand même un bon goût de chiotte.
Heureusement on agrémentait le gros sac de riz africain de petits thons ou dorades Coryphènes que l’on arrivait à pêcher à la traîne si on va pas trop vite. J’ai jamais trop testé les poissons volants que l’on trouve sur le pont le matin ..il sont généralement tout secs et plein d’écaille.
La bouffe dans les traversés est un élément capital , un rituel sacré même si personnellement ce n’est pas une priorité habituellement pour moi .

Faire la cuisine en mer est un art difficile car l’espace qui est réservé est généralement exiguë et que, sauf voilier de luxe, il n’y a pas de frigidaire , le réchaud à gaz est monté sur cadran ce qui permet de cuire même à la gîte et faire bouillir l’eau de pâtes .Mais attention danger au près serré dans la brise.

C’est généralement chacun son tour sauf si à bord un cuisinier est désigné d’office c’est le cas par exemple sur une transat d’un bateau de charter .Ou que par miracle un équipier a des dons particuliers., le navigateur du bord peut en être dispensé car il fait sa méridienne et donc faut pas le déranger à l’heure ou soleil culmine et donc vers Midi !

J’ai eu la chance de naviguer avec un jeune mec très sympa Luc alias Lucky Luc qui était un expert en la matière . On le surnommait ainsi car il avait tout le temps le sourire. Je l'avais rencontré à St Barth quand j’avais fait la saison la bas et il était cuistot dans des restaurants de l’Ile.

Ma première nav avec lui fut sur le retour St Barth Hyères sur Virus . Quelque soit le temps il était au fourneaux et s’imposait entrée , plat et dessert. Il montait sa mayonnaise au fouet par 25 degrés de gite . Un jour en plein océan la mer était calme et on voit des trucs bouger par loin à la surface .. je déroute un peu le bateau pour voir .. C'était un énorme cageot en bois qui dérivait couvert d’algues et petits coquillages et entouré d’une bonne dizaine de grosses bonites qui bouffaient quelque trucs qui avait poussé dessus et elles semblaient se régaler. On a fait un massacre au fusil harpon et Luc nous a préparé des rôtis entiers de bonites farcies à l’ail, j’en salive encore quand j’y pense.Vive la chaîne alimentaire..

C'était également un bon équipier et un assez bon barreur .. il était aussi très bon skieur c'était un suisse..Il adorait quand le bateau surfait Il disait ça me rappelle le pays avec son léger accent.

Je l'appelais ensuite aussi quand je cherchais des équipiers Il radinait ..On a fait La Trinite Rhodes sur le Tonus ensemble en battant des records de vitesse..On était parti fin février de la Trinité...en plein coup de vent ..On a mis 5 jours pour descendre à Gib...quand j’ai téléphoné à François pour lui dire que j’y étais il a pas compris ….il y avait eu un très gros coup de vent d’hiver dans le Gascogne et des bateaux avait été en grosse difficulté .. je sais pas si c’est Lucky qui m’a porté chance.mais on était passé là ou fallait et au bon moment surfant sur les fronts des dépressions qui défilaient, au feeling. Ensuite Gib vers Port El Kantaoui , on a envoyé le spi lourd à la sortie du port pour le descendre 2 miles avant Tunis c'était dingue, sans pilote on faisait des quarts de 4 heures mais Lucky continuait à s'éclater sur le réchaud et moi au sextant On aurait pu faire des courses car on était affuté. Tonus avait une barre franche, un gros truc en teck comme sur le Pen Duick 6 .. je peux te dire qu’on s’est fait de cales aux mains .
Un truc sympa la bas, on avait plein de jour d’avance on a faisait un peu les touristes..Un jour je rencontre un gars de l’alliance française qui nous invite à boire un coup ..sa femme était Malienne. je lui demande si elle connaît Mory Kante la fameuse flèche … c'était une fan absolue et originaire du même coin, malheureusement elle n'avait pas de musique de lui car il débutait à l'époque, ses cassettes c'était des trucs enregistrés à l’arrache avec une étiquette de photocopieuse et tu les achetais sur les marchés.
Je lui ai offert royalement celle que j'avais ramen" de Dakar, elle était aux anges. Ensuite c’est un dentiste qui est venu pour la dernière étape ..le mec a pleuré sa mère en pensant avoir embarqué avec des barjos . 

On a eu un gros coup de Meltem au large de la Crète , on était encore sous spi lourd, j'avais hesité de l’affaler car il y avait un risque dans la manœuvre et pariais que ça allait mollir la nuit .On surfait et la mer fumait par moment .. Luc a merdé et on a empanné le bateau complètement couché à contre et un de chandeliers a d’ailleurs été tordu. (j’ai baratiné François sur l’affaire )… je suis sorti comme un diable du carré .. et coupé l'écoute avec un de ses couteaux persos de cuisine, à la mode “Alain Gabbay” un grand skipper de course et spécialiste de ce genre de truc pendant la deuxième Whitbread. Je le connaissais à ses débuts du temps de Quiberon car il taffait chez Philippe Le Moguen ou le bateau de mes parents était en entretien .. Le dentiste il pleurait mais arrivé à Rhodes et remis de ses émotions il a quand même dit que c'était une sacrée expérience …!!LOL

Lucky a vite trouvé du boulot sur un beau bateau de charter comme cuisinier et je l’ai revu souvent ..( je l’ai même chargé de ramener à mes parents le fameux Album de mon retour de Taiwan) Même beaucoup plus tard dans un restau de Grenoble où j'étais en mission quand j’ai bossé pour Framatome..Luc était moins bon à terre car le mec avec qui j'étais a vomi toute la nuit ses escargots de bourgogne, je lui avais pourtant conseillé de prendre du thon !

Bon je m’égare ..La baie de Todos los Santos est enfin droit devant moi..et je salive déjà en pensant aux jus d'ananas et autres douceurs qui m’attendent... Miam Miam!


En janvier il ya du monde à Salvador car c’est bientôt le carnaval , on a un bon mois pour se chauffer et les bateaux arrivent les uns après les autres. Aqualung est déjà là, ils ont évidemment pas mollis et sont partis direct des Iles du Cap vert et sont restés très nord pratiquement sur toute la traversée pour plonger plein sud au dernier moment car ok le pot au noir est faible à l’ouest mais faut se taper la fin au près serré pour redescendre contre le fameux Alizé du Sud , faut oser l’option, j’admire un peu ces mecs car c’est des purs et durs et si certains trouvent que c’est un peu spartiate à mon bord avec eux c’est 10 fois pire.

Je retrouve pas mal de bateaux croisés à Dakar et aux Canaries..

On se gave littéralement de fruit frais de toute sorte..Quand tu commande un jus d’Ananas chez les petits marchands ambulants il mixe un ananas entier ou quel tu rajoute ce que tu veux .. Orange Banane Goyave …on refait le plein de vitamine

Mais la boisson local reste la Cachaça.. la Cachaça c’est comme le rhum un alcool de canne à sucre mais beaucoup moins raffiné.. ça arrache et rend nerveux faut pas abuser car ça attaque direct le cerveau sans passer par la case cirrhose du foi.Avec un jus de fruit c’est la Caipirinhas…

Je ne sais pas pourquoi la marque commune est la 51 comme le pastis !le degré d’alcool peut être.;

On traine un peu dans la baie et à Itaparica l’ile en face .. très chouette ou il a désormais un club med ..

Du port au centre ville faut grimper pas mal pour atteindre le bar branché la casa de la Luna..Un soir surement a cause d’une Caipinhiras de trop j’ai voulu explorer seul les petites rues dernières et chercher aventure?? ça n’a pas traîner je me suis fait braquer les quelques sucres ( la monnaie locale) que j’avais en poche mais surtout ma montre Casio special YAchting que Coco m’avait offert pour mon départ .. Outre le fait que j’aimais ce souvenir c'était ma montre fétiche dont je suivais précieusement la marche dans un petit cahier a spirale et a petit carreau .

La navigation au sextant nécessite en effet d’avoir l’heure à la seconde prêt et il ne faut pas la mettre à l'heure sur le top horaire que l’on chope en radio ;. mais mettre l'avance ou le reculet et en suivre l'évolution.

J’vais deux autres Casio “Digitales” de l'époque” heureusement .; mais j’ai du re faire le calage. j’ai fini par prendre un beau coup de poing au plexus et me retrouve le cul parterre en voyant les deux mec se tirez avec ma montre...Plus de peur que de mal .. mais j’ai juré de ne plus traîner comme cela .

Il a 3 ou 4 ans je m’en suis payer une … c’est vintage !!!

Le carnaval de salvador ca n’a rien voir avec les concours de Samba de celui de Rio. La c’est 1 million de personnes qui envahissent les rues en suivant les énormes camions qui transportent les Trio electrico , des orchestres qui balance aà fond une musique de fou.. C’est assez violent et une nuit je me suis encore retrouvé sur le carreau .. on rentrant vers 6 ou 7 h du matin complètement nases mais excité et comme shooté par la Cachacha..au lever c’est pansage des pieds pleins d’ampoule et c’est reparti pour encore une nuit de fou.. Au bout de 3 jours la ville se vide peu a peu, jonchée de tonne de débris de canettes et bouteilles vides ..j’en ai raz le bol ..j'arrive même un soir seul sur la digue qui surmonte le port à me demander ce que je fous là ..quel est les sens de ce voyage et celui de ma vie ..

Il est temps de prendre le large..je repars avec deux nouveaux équipiers un Breton et un Italien “Mahoro” .. le roi des guignol incapable de garder 20 sucres sans allez les boire avec des filles. La remontés sur les Antilles se fait a des allures très serrées .. il est ou le vent du sud et un vent très fort le Lisa souffre et je sens sa coque bouger de plus en plus et les listons fuire .. on a pompé au moins 200 litres par jour en priant que le vent adonne le moral était bas très bas pendant 5 jours dérivant de plus en plus vers le cote de Guyane ...si j’arrive aux Antilles avec c’est clair je dois l vendre le bateau .. je suis un peu triste ce sera la fin de l’aventure avec le Lisa.. Ce ne sera pas les meilleurs souvenirs et en y repensant j’ai un peu un goût amer celui d'être passé a côté de plus belles choses au Brésil que je ne connais pas a part cela le gou t aussi amer de la Cachaça.
Heureusement la météo me sourit car il ya encore quelque chose de pas normal et on finit grand largue pour atterrir à la Barbade . encore quelques centaines de miles et me revoilà à la Martinique .. la boucle est bouclée..